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58 - LA GAZETTE SANTÉ-SOCIAL N° 79 - Novembre 2011
Les EJE s’interrogent sur la (bonne) direction à prendre
Si les éducateurs de jeunes enfants peuvent désormais diriger des crèches, ils n’en restent pas moins indispensables sur le terrain.
Les éducateurs de jeunes enfants (EJE) doivent-ils rester sur le terrain, auprès des enfants, ou s’éloigner de leur coeur de métier pour des tâches plus administratives et managériales ? La profession a des difficultés à trancher cette question. Depuis 1973, date de la création du diplôme d’Etat d’EJE, ces travailleurs sociaux se sont battus pour faire reconnaître leurs compétences et leur spécificité éducatives dans les établissements d’accueil de jeunes enfants (EAJE), au sein d’équipes majoritairement composées de professionnels de santé (puériculteurs et auxiliaires de puériculture).
Management
En quête de perspectives, ils se sont également mobilisés pour mettre fin au monopole des professions sanitaires dans les fonctions de direction. En 2000, un premier décret leur a permis d’accéder à la direction d’établissements de moins de 40 places puis, en 2007, un deuxième leur a ouvert celle des établissements de plus de 40 places (1). Parallèlement à ces nouvelles responsabilités, leur diplôme est passé, en 2006, du niveau IV au niveau III, par un allongement de la durée de leur formation de 27 mois à 3 ans. Aux compétences liées à l’accueil de l’enfant et de sa famille et aux actions éducatives s’ajoutent désormais deux volets centrés sur le management et les dynamiques institutionnelles.
Attentes fortes
Les premiers diplômés « nouvelle formule » ne sont sortis des écoles qu’en 2009. Mais, déjà, leurs attentes sont fortes. « Au bout de deux ans, nombre d’entre eux sont fatigués du terrain et demandent à évoluer », témoigne Marie-Hélène Crémonèse, coordonnatrice « petite enfance » de l’association Crescendo, située à Paris. Le décalage entre leurs ambitions et la réalité peut être important. « L’EJE a pour mission de porter le projet éducatif de l’établissement, d’accompagner les équipes dans la relation à l’enfant et aux parents, en travaillant à leurs côtés. Mais, surtout, d’organiser la prise de recul professionnelle », explique Corinne Chaillan, présidente de la Fédération nationale des éducateurs de jeunes enfants (Fneje). Or, par manque de temps et de disponibilité, les conditions ne sont pas toujours réunies pour mener au mieux cette action éducative.
D’après la Fneje, il est pourtant impératif que les EJE restent sur le terrain, afin d’assurer l’accompagnement des équipes, de moins en moins qualifiées. En effet, depuis 2010 (2), une structure peut, selon sa taille, accueillir temporairement 10 à 20 % d’enfants supplémentaires, tout en ramenant de 50 à 40 % ses effectifs qualifiés. « Le personnel peu qualifié fonctionne à l’instinct et n’aborde pas l’enfant dans sa globalité, affirme Corinne Chaillan. Il a besoin du regard de l’EJE au quotidien pour évoluer dans sa pratique professionnelle. Or, quand l’EJE devient directeur, il ne peut plus être présent de la même manière et faire comprendre par l’exemple quelle est la meilleure façon de travailler auprès d’un enfant. En devenant évaluateur, il sort de la dynamique de proximité entre pairs. »
Reste à savoir si le faible nombre d’EJE formés (1 247 en 2009) permettra de maintenir suffisamment de professionnels sur le terrain. D’autant que certains gestionnaires n’hésitent pas à recruter à la tête de leurs structures des EJE ayant moins de trois ans d’expérience, afin de pourvoir les nombreux postes vacants, faute d’infirmiers puériculteurs. Une situation que regrette Marie-Hélène Crémonèse : « Comment faire fonctionner une équipe sans avoir véritablement connu le terrain ? Il faut avoir été confronté aux parents et aux collègues pendant plusieurs années pour assumer la direction d’une structure. »  Michèle Foin
(1) Sous réserve, pour les établissements de plus de 20 places, de s’adjoindre le concours d’un
infirmier puériculteur, et pour ceux de plus de 40 places, de justifier d’une certification de niveau II attestant de compétences dans le domaine de l’encadrement ou de la direction (décrets n° 2000-762 du 1er août 2000 et n° 2007-230 du 20 février 2007).
(2) Décret n° 2010-613 du 7 juin 2010.
À LIRE
- Les Enjeux du métier d’éducateur de jeunes enfants, Dominique Auzou-Riandey
et Bernadette Moussy,
ESF Editeur, 2009.
- Les professions et leur coordination dans les établissements d’accueil collectifs du jeune enfant : une hétérogénéité source de tensions au sein des équipes, Sophie Odena, dossier d’étude de la Cnaf n° 121, Lest / CNRS, 2009.
LA FIN DE L’ÉQUIPE PLURIDISCIPLINAIRE ?
En octobre 2010, l’économiste Jacques Attali remettait un rapport (*) dans lequel il préconisait de créer la profession d’« accueillant éducatif ». Celle-ci remplacerait progressivement les différents métiers de la petite enfance, les éducateurs de jeunes enfants prenant la direction des structures. Depuis, l’idée, portée par le neuropsychiatre Boris Cyrulnik notamment, a fait du chemin et a reçu un accueil
favorable de la ministre des Solidarités. Une nouvelle formation
de 18 mois, centrée sur l’approche socio-éducative de l’enfant,
est à l’étude à l’université d’Angers et en attente de financements. Laurence Rameau, consultante, a élaboré ce projet avec Boris Cyrulnik. « Il est temps de considérer les structures d’accueil comme des lieux d’éducation, estime-t-elle. L’équipe pluridisciplinaire est un leurre qui ne provoque que dispersion et appauvrissement de la qualification des professionnels. »
(*) Une ambition pour dix ans. Rapport de la commission pour la libération de la croissance. Disponible sur www.ladocumentationfrancaise.fr